samedi 13 juin 2009

L'intégration selon Clint Eastwood, multiculturalisme et démocratie

Editorial de Per Gudmundson, publié le 13/06/2009 sur le quotidien SVD.
Traduit avec l'autorisation de l'auteur.

Gran Torino
de Clint Eastwood est l'un des films à voir cette année. C'est une sorte de condensé de sa carrière et est à la fois drôle et particulièrement poignant, en dépit de lacunes dans le jeu des acteurs et la photo.

Eastwood se dirige lui-même dans le rôle du vétéran de la guerre de Corée Walt Kowalski, qui observe depuis sa terrasse son quartier investi par des asiatiques, apparemment peu soucieux de s'adapter à son Amérique et dans l'incapacité à lutter contre la culture des gangs qui garde les enfants immigrés sous leur emprise. Lorsque le garçon des voisins tente de voler son bijou, l'œuvre de sa vie-une Ford Gran Torino-commence une lutte qui fait évoluer le voisinage du dédain mutuel à la méfiance, puis de la méfiance au respect.

C'est la politique d'intégration selon Clint Eastwood. A rien ne sert de s'asseoir en cercle et de chanter Kum-ba-yah*. La Loi s'applique et la propriété doit être respectée. Alors seulement le polonais-américain peut tolérer, sans nécessairement aimer, le hmong-américain.

La société suédoise discute souvent de l'intégration en termes d'auto-effacement, des habitudes des suédois ou de celles des immigrés. Une déclaration de l'ancien ministre à l'Intégration Mona Sahlin* à Euroturk 2002 est symptomatique: "Vous avez une culture, une identité, une histoire, quelque chose qui vous lie ensemble. Et qu'avons-nous? Nous avons la veillée de Midsommar* et autres bêtises."

Après un peu plus d'une décennie, avec plus d'un million de nouveaux résidents il est de plus en plus clair que la plupart de ceux qui déménagent ici veulent garder leur identité, tout comme nos dalécarliens ne songent pas un instant abandonner leurs "bêtises" folkloriques. L'utopie d'une unique communauté a sombré. Au contraire, la ghettoïsation et la fragmentation communautaire se devinent de plus en plus.

Combien de diversité peut tolérer la démocratie? C'est le titre et la question d'une thèse (Gleerups, 2009) de Andreas Johansson Heino, nouvel agrégé en sciences politiques à l'Université de Göteborg. Il s'appuie sur quelques évidences qui sont rarement prises en compte dans le débat suédois, par exemple que presque toutes les réussites démocratiques sont fondées sur l'État-nation* et qu'il existe une forte corrélation entre l'homogénéité nationale et le degré de démocratie.

Car il semble malheureusement se confirmer l'analyse que Robert Putnam* a fait valoir dans sa conférence à Uppsala, où lui a été attribué le prix Skytteanska. Plus la société est multi-ethnique, plus fort est le déficit de confiance. Dans les sociétés hétérogènes est plus faible la confiance dans les politiciens locaux et les médias, plus faible la confiance en sa propre influence et plus basse la participation électorale, enfin plus faible l'engagement au profit de projets communs et au profit du bien-être collectif.

Johansson Heino fait débattre ce conflit entre la diversité la démocratie. Il explore les différentes approches nationalistes, libérales et multiculturalistes pour régler le problème, et rejette conjointement le dogme de l'auto-effacement prôné par Mona Sahlin et l'inculcation forcée des "valeurs suédoises" aux immigrants proposée par le Parti populaire, héritières de la même pensée socio-libérale. Assez étonnamment, il aboutit à une solution qui peut être trouvée dans le nationalisme, comme une condition préalable à l'exercice de la tolérance et du pluralisme. "Une culture de la confiance en soi est une condition essentielle pour qu'il puisse y avoir quelque chose à partager, à intégrer et à s'assimiler"

Le mât de la Midsommar peut être maintenu. Les turcs ne sont pas suédois, mais avec le temps deviendront sveco-turcs.

"Concrètement, cela suffit. Aussi longtemps que les nouveaux arrivants respectent et adoptent la loi, et font ainsi la démarche de s'adapter à la société, il n'y a aucun raison de ne pas tolérer la différence". Fin de la thèse.

Clint Eastwood grogne d'approbation.



*Kum-ba-yah: chanson folk des années 30, forme créolisée de "Come by you". Chantée chez les scouts et reprise de maintes fois, son évoquation en est venue à symboliser ce que l'on appelle en français l'angélisme de la bonne conscience.
*Mona Sahlin: à la tête des sociaux-démocrates suédois 2007, elle est depuis revenue sur ses positions "d'auto-effacement", et est partisane de l'assimilation, selon des "off".
*Midsommar: feu de la St Jean, où l'on hisse un mât couvert de feuilles, branches et fleurs tressées. La veillée est l'occasion de chansons, danses, repas, boissons et histoires racontées entre amis et famille tard dans la nuit.
*Robert Putnam: politologue, sociologue et enseignant américain à Harvard. Il a étudié les problématiques de "bridge-crossing" entre des populations différentes. Sienne la distinction entre "bonding capital" qui est le socle minimum de cohésion de la population, et le "bridging capital" qui est l'effective rencontre entre populations différentes, essentielle dans une société multiculturelle.
*Nation dans les pays scandinaves: de tradition germanique, la notion de nation n'y est pas comme en France concurrente de Patrie. Il n'y a donc pas comme ici de honte à s'appréhender comme "ethniquement suédois". Vu de France, où la conception universaliste de la Patrie prévaut, cela semble tout de suite suspect. A l'expérience, la notion française de Patrie semble être bien hypocrite, car elle repose aussi sur la notion de Nation. La perte de vitesse de l'idéal français semble ainsi liée au refus d'y voir cette filiation.

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