jeudi 15 mai 2008

Européens, athées, chrétiens, musulmans.

Je vais reprendre une réflexion déjà faite il y a quelques temps :

Les européens n'ont pas à choisir comme référence entre une identité chrétienne ou athée, sécularisée ou non.

Regardez-un un peu autour de vous, depuis deux siècles, de quelle nature les débats sont : nous vivons dans des sociétés dont la nature n'est ni chrétienne, ni athée, mais de confrontation permanente entre les sécularisés et les non-sécularisés.

Si nous prenons d'un côté l'Italie, de l'autre la France, nous avons deux exemples assez différents de rapport au religieux. Et pourtant les sociétés sont très semblables : c'est que l'équilibre ne rompt jamais en faveur de l'un ou de l'autre.

Mais ceci n'est possible que dans le cadre de valeurs communes aux chrétiens et aux athées. Car si la morale ne procède pas des mêmes fondements, elle est très semblable. Jean Paul II avait même dit que le Paradis pouvait même accueillir ceux qui doutant de Dieu avaient oeuvré en bien toute leur vie.

Ce dialogue aujourd'hui pacifié (ce n'est pas une évidence : avant Vatican II on n'en était pas là; ce n'est pas une évidence : le Vatican est passé à l'offensive en Italie) ne met pas en péril notre société, car les objectifs individuels comme collectifs restent les mêmes.

Deux facteurs néanmoins déstabilisent nos sociétés depuis 50ans (et on ne vit pas encore mal, preuve que la capacité de résistance est assez forte): le relativisme érigé en dogme (alors qu'il ne devrait être qu'un moyen de mieux cerner les choses), avec la remise en cause de toutes les valeurs (sans les remplacer!); et l'immigration de personnes de culture extra-européenne.

Il est évident que les immigrés n'ont pas eu comme projet premier de changer la société à leur profit. Mais le dialogue chrétiens-(laïcs)-athées ayant été perturbé par des athées rejetant tout forme de morale et de repères établis, les populations immigrées sont déboussolées.

Si on ajoute à cela les facteurs sociaux, économiques,le racisme d'un autre âge et les relations internationales qui n'aident pas, on voit comme il était inéluctable que les populations nouvellement arrivées pour se faire une place dans une société dont elles n'ont pas le mode d'emploi ont tout loisir de se replier sur elles-mêmes.

Or, revenons à notre fructueux modèle européen fondé sur l'incapacité des chrétiens comme des athées à s'imposer l'un à l'autre, le tout sur un lit de valeurs communes.

L'apparition de nouveaux systèmes de pensée perturbe grandement ce modèle dont l'équilibre est par nature instable.

(je nomme ce modèle post-chrétien, car il a donné naissance à une frange importante de la population dont les valeurs sont chrétiennes mais qui refusent toute obligation envers le christianisme : l'Homme décide d'employer son libre-arbitre en se concentrant sur lui-même et pour lui-même et les autres, sans en référer à Dieu)

Prenons l'exemple de l'Islam, troisième croyance d'Europe (après les chrétiens et les athées, mais loin derrière à 3.5%, 10.5% avec la Turquie). l'apparition d'un mode de pensée avec Dieu à son sommet divise les chrétiens en au moins deux catégories : ceux qui y voient un moyen pour contrer l'athéisme (notamment celui des amoraux), ceux qui y voient une concurrence dans le dialogue religieux-sécularisé, dialogue où ils avaient le monopole de la partie "religieux". (facteur transversal : la sympathie ou moins pour les valeurs islamiques qui parfois sont proches).

*chrétiens : je ne distingue pas ceux qui ont accepté que le Royaume de Dieu est dans les Cieux et pas sur Terre de ceux qui ne l'ont pas accepté, somme toute peu nombreux*

Si nous considérons les athées (avec morale) nous voyons ici encore une scission, entre ceux qui affrontent l'Islam comme hier ils affrontaient le Christianisme; et ceux qui sont prêts à donner à l'Islam le statut d'interlocuteur religieux au coté des chrétiens (et ce faisant, ils rompent le pacte qui faisait du dialogue chrétiens-athées une confrontation sur une base de valeurs communes : les athées qui incluent l'Islam relativisent de fait la nature de "partenaire privilégié" du Christianisme).
Ici encore, il y a le facteur de sympathie ou moins pour les valeurs de l'Islam, ou plutôt sur son rôle social et politique.

Nous pouvons aussi considérer les athées amoraux, qui ne se rendent pas compte que leur choix est redevable d'une liberté qui n'est pas éternelle, surtout si ils ne voient en l'Islam que le moyen de casser un peu plus l'ancienne morale.

Conclusion :

La plus grande erreur pour nos sociétés post-chrétiennes, c'est de briser le pacte entre athées et croyants fondé sur le respect mutuel grâce à des valeurs communes.
C'est de cet équilibre instable que dépendent nos libertés, et certains parmi les chrétiens comme parmi les athées jouent avec le feu en remettant en cause cet équilibre pour vouloir y inclure l'Islam.

Dans un premier temps, ce sont les athées encore fidèles à la morale chrétienne qui se sentent menacés (ou au moins contestés) par l'irruption des valeurs islamiques.

Dans un second temps, ce sont les athées amoraux (il n'y a pas forcément de sens péjoratif, il s'agit juste de caractériser ceux qui ont rejeté toute référence morale antérieure) qui se sentiront à risque, et tels les moutons du bergers une partie reviendra, une partie ira se perdre dans le nouveau système de valeurs, une partie ira jusqu'au bout dans son nihilisme.

Les athées doivent se rendre compte qu'ils n'ont aucun avantage à faire entrer l'Islam dans le dialogue religieux-athée, car mus par la tolérance ou mus par le désir de fragiliser le Christianisme, ils ne feront que s'affaiblir au profit des institutions chrétiennes .

L'athée est seul face à la croyance; si l'athée se sent menacé ou contesté par une religion, donc par une croyance structurée et globalement également pratiquée par ses membres, il constate très vite qu'il est en position de faiblesse. Il est dès lors très tenté de rejoindre lui aussi une religion-refuge, dont il ne partage pas le credo mais les valeurs.

Or, si les athées post-chrétiens vont renforcer la religion chrétienne, il n'est pas sûr que celle-ci leur rende la liberté perdue. Dans une rapport valeurs chrétiennes/valeurs musulmanes/non-valeurs des amoraux, il n'y a que très peu de place pour l'athéisme, il n'y a que très peu de place pour cette formule magique européenne qui depuis deux siècles offres aux individus une très grande liberté.

Les chrétiens doivent travailler sur les points de contact entre leurs valeurs et celle des musulmans, sans cacher les différences.Il s'agit de tendre la main à ceux qui chez les musulmans ont une pratique très proche.

Les athées eux n'ont pas ce rôle de médiateur, car l'athée ne peut pas d'un côté dire aux chrétiens de garder leur foi pour leur vie privée et l'autre expliquer ô combien l'Islam est compatible pour peu qu'on le veuille ! c'est une trahison aux chrétiens qui les incitera à redevenir les conquérants de l'espace public qu'ils ont été.

Les athées par contre doivent dialoguer avec tous ces musulmans de culture mais non de foi, en mettant l'accent sur les valeurs communes que l'on peut avoir, et sans cacher les différences.

Evidemment, les athées amoraux sont les pires des interlocuteurs, car ils renforcent les croyants comme ils effrayent ceux qui chez les musulmans de culture ne comprennent pas cette absence de références morales.

*****

C'est ainsi que je vois notre feuille de route : aux croyants le devoir de parler aux croyants en jetant des ponts mais sans se renier;
aux non-croyants le devoir de parler aux non-croyants, en luttant contre les injustices dont ils sont victimes et en réaffirmant quelles sont nos valeurs.

Car si il y a en Europe de la place pour les musulmans, il n'y a pas de place pour celles des valeurs musulmanes qui sont différentes des valeurs chrétiennes. Athées et croyants ne doivent pas rompre cet équilibre fragile à qui nous devons nos libertés en invitant un autre système de valeurs dans une discussion qui ne se fait qu'à deux acteurs aux valeurs communes.