mercredi 6 mai 2009

Européennes: les eurosceptiques font l'Europe ?



Élections européennes : vu de France, il n'y a pas de quoi faire frémir une branche d'arbre.
Mais vu de Suède, Italie ou Allemagne, ce n'est pas mieux!
Il y a à cela des raisons de niveau mondial, européen et national.

Au niveau européen: le rejet par la France et les Pays-Bas du Traité Constitutionnel Européen a très largement calmé les ardeurs des fédéralistes. Hormis quelques initiatives isolées socialistes, tout le monde est suspendu au référendum irlandais de la fin de l'année. Le Traité de Lisbonne, une copie sans âme du TCE, est la bouée de sauvetage des europhiles traditionnels. L'avenir institutionnel de l'Europe ne se joue donc pas la première semaine de juin.

Le volet politique est lui aussi occulté par le relatif consensus apparu après le G20 de Londres sur l'économie, où l'accord sur l'environnement arraché sous présidence française en fin d'année dernière. Des mesures sécuritaires ont aussi été prises. Et la présidence Tchèque a brillé par son anonymat relevant lui aussi de facteurs européens (Sarkozy ayant "débordé" de son mandat en 2009) et de facteurs nationaux (démission du Premier ministre Topolanek).

Au niveau mondial, la crise économique a eu pour effet d'anesthésier les traditionnelles oppositions libéraux anglo-saxons/ dirigistes continentaux. L'Europe s'est massivement rangée sous l'étendard d'un interventionnisme modéré, privant les partis d'opposition de leur rhétorique habituelle. L'avènement d'Obama a également anesthésié le traditionnel débat sur le tropisme atlantiste de nombre de pays membres, et le ralliement de la France au commandement intégré de l'Otan, certes fort symbolique tant Paris avait déjà depuis longtemps arrêté de bouder, a fini par clore le chapitre d'une défense européenne perçue comme séparée, voire concurrente de la défense américaine. Le comportement de la Russie en Géorgie en août 2008 a renforcé par ailleurs le sentiment d'insécurité d'une Europe insuffisamment préparée face aux défis géopolitiques de notre siècle. J'évoque aussi la question turque dans une note du mois d'avril.

Au niveau national enfin, l'élection européenne ne suscite pas d'intérêt en Espagne, Italie, France, Pays-Bas, Suède, Belgique, Pologne, Roumanie, Bulgarie, Hongrie etcc tant la situation politique intérieure est apathique. Il y a le cas de figure de la majorité inébranlable (Italie), ou le cas de figure de l'absence de clivage européen (Espagne), ou encore l'approche d'élections nationales qui retardent le début des hostilités (Suède, Bulgarie).

Où sont donc les aspérités politiques sur lesquelles les électeurs vont pouvoir s'accrocher?
Il y a des phénomènes nationaux: la Suède observe avec curiosité une éventuelle percée du Parti des Pirates .
L'Allemagne attend d'évaluer la force de l'extrême-gauche, et s'apprête à constater le remplacement des Grüne par les libéraux du FDP comme troisième force (15-20% selon les sondages).
Le Danemark va baptiser son nouveau gouvernement, après le départ d'A.F.Rasmussen pour l'OTAN.
La Bulgarie va évaluer la force de la coalition de gauche ex-communiste favorite des sondages. Les républiques baltes redoutent leur première abstention massive, liée à la déception de la protection apportée par l'UE.
La France attend de savoir si la gauche socialiste est encore en vie.
La Belgique va faire semblant d'oublier sa grave crise identitaire.

Mais à dire vrai, il y a des politiques qui veulent jouer le jeu.
Les plus motivés sont les... eurosceptiques! Est ainsi née la première initiative politique pan-européenne: Libertas.
Comme son nom l'indique, cette formation qui pour la France a recruté le MPF de Villiers, milite pour une économie plutôt libérale dans son fonctionnement intérieur et protectionniste vis-à vis du reste du monde (retour à une stricte préférence communautaire), et pour une moindre prise des institutions européennes sur le quotidien des européens.
Au-delà de la caricature que certains en font (on a tôt fait de se moquer de leur volonté de se "libérer" du monde et de l'Europe) ce mouvement correspond assez bien au scénario d'une deuxième phase de la construction européenne que je vois ainsi: à la suite d'avancées spectaculaires dans l'intégration commune (Euro, politisation des institutions européennes, Schengen...), on passe les rênes aux sceptiques qui seront très vite séduits par le joujou européen. Par leur présence au plus au niveau européen, ils achèvent de donner une légitimité au Machin.

On peut faire la comparaison avec un système national: la véritable ratification de la Constitution d'un pays, c'est lorsque l'opposition accède pour la première fois au pouvoir. (Si possible accompagnée, pas qu'elle ne soit tentée de tout défaire, hein!)
La présidence tchèque de l'Union, vécue comme un traumatisme par bon nombre d'eurogroupies (c'est ainsi que je nomme les europhiles incapables d'apprécier les règles du jeu quand elles ne les servent plus) a bien au contraire donné à l'Union un autre visage qui n'est pas pour déplaire à l'Europe centrale et à cette Europe qui ne se reconnait pas dans l'axe exclusif franco-allemand.
Paradoxalement, l'accession au sommet des opposants permet l'identification à l'Europe de leurs partisans. J'appelle ça la légitimation paradoxale.

Une autre initiative est celle des Newropeans. Ils ressemblent assez aux mouvements anti-fédéralistes que l'on voit aux USA, notamment au Texas.

Pour conclure, il me semble que ce manque de relief donné à l'élection européenne est une chance. En effet, on a assez peu entendu les habituelles hystéries anti-Bruxelles. (hormis les très drôles parodies de Starwars proposées par Libertas!) Une lecture clarifiée du résultat des élections sera possible: à l'absence d'interférences nationales s'ajoute la clarification de l'échiquier politique national constatée en France (Mélenchon), Allemagne (Lafontaine) et Italie (Arcobaleno).
Et si même les eurosceptiques commencent à harmoniser leurs vues...

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