samedi 11 avril 2009

Commentaire à M.Rioufol sur la Turquie.

Bloc-Notes d'Ivan Rioufol du Figaro : "Le Couac dans la marche turque vers l'Europe"

Et mon commentaire :

Bonsoir M.Rioufol,

Permettez-moi quelques commentaires directement sur votre note du jour.

A-Sur le titre choisi : pour être pointilleux, je relève quand même qu'il s'agit d'un couac non pas dans la marche à l'Europe comme ensemble UE, mais dans l'alliance atlantique où l'Europe n'est pas la composante dominante.

Il n'en reste pas moins que si l'intrigue se déroule sur les tapis verts de l'OTAN, ses implications politiques se jouent bien sûr au casino européen dont on se demande qui est le croupier. Barroso n'a-t-il pas emboité le pas à Obama, contre Merkel et Sarkozy ?

En défendant un intérêt de type religieux, même si il était sous l'angle politique -ne pas présenter l'Otan comme un instrument anti-musulman- et non théologique, la Turquie a rappelé qui elle était.

B1-Je vais me faire l'avocat du diable, et jusqu'à un certain point partager le point de vue de certains bogomiles du Moyen-Ages qui voyaient en Satan le révélateur -au sens chimique- du message divin.
La polémique suscitée par Erdogan ne répond-elle pas aussi à l'intérêt direct de l'Otan ?
En Afghanistan notamment nous avons un besoin crucial de la présence turque, soit comme garantie d'ouverture, soit comme intermédiaire d'avec le monde iranien et touranien, voire plus largement islamique certes peu amoureux des turcs mais toutefois très intéressé par l'expérience AKP.
Dans l'optique d'un retrait peu honorable, la Turquie nous aidera pour sûr à quitter la région en nouant quelques liens pour éviter qu'à la honte s'ajoute le désastre.

B2-Aussi, la Turquie par la mini-crise suscitée et par sa résolution a contribué à blanchir un peu l'Otan de soupçons de type huntingtoniens. Je ne crois pas que cela parle à ceux qui ne veulent pas entendre, et la perception en restera inchangée de la part des anti-Occident. Mais essayer de gagner un peu de crédibilité et de répit pour mieux baliser la sortie d'Afghanistan est plutôt une bonne chose.

C1-J'admire sincèrement le sens politique d'Erdogan, en contraste nos chers gouvernants font bien pâle figure.
En effet, il a su jouer des atouts de son pays, et en tirer 3 bénéfices :
-à usage interne, la crise frappe de plein fouet la Turquie (le FMI se penche à son chevet, et sa dette est hors de contrôle). Une dose de politique à l'ottomane ne peut ps nuire à l'opinion publique !
-à usage atlantiste, Gaza, Iran, Afghanistan, Syrie, on a même entraperçu le Grand Turc lors de la crise géorgienne: vu de Washington, Ankara fait preuve d'une conscience stratégique qui n'a pas d'égal en Europe.
-à usage islamique, Erdogan a multiplié les efforts pour faire de la Turquie un phare pour l'Islam moderne. Il placé ses hommes à l'OCI (le SGénéral est un des ses fidèles), au CDHomme de Genève la Turquie joue le porte-parole modéré des pays musulmans (ce qui tranche avec le Pakistan héraut de l'OCI).Contraignant Rasmussen à un geste sans que celui-ci renie sa position, il montre au monde musulman que lui obtient par la diplomatie ce que les autres n'obtiennent pas par le jusqu'au boutisme ou la violence.

C2- évidemment, les deux derniers points et surtout le dernier sont très gênants en optique "européenne". Si nos gouvernements veulent bien jouer de la carte turque comme caution de tolérance à l'Islam, avoir une Turquie qui ne serait plus une simple caution passive mais un porte-parole dans les bureaux bruxellois et dans l'hémicycle des préoccupations musulmanes, ce n'est plus la même chose.
De plus, une relève européano-conciliante à Erdogan ne s'entrevoit pas en Turquie. L'hypothèse "idéale" Kemal Dervis ne semble pas d'actualité.

-Kemal Dervis est l'artisan des réformes économiques entamées avant l'arrivée de l'AKP, laïc et social-démocrate-

C3-Erdogan a désormais "islamisé" l'image de la Turquie dans le monde, non seulement en Europe mais dans le monde islamique aussi, ce qui est un tour de force.
En Turquie même le port du voile est sur des niveaux historiquement faibles. Mais le traditionnel foulard des travailleuses agricole est désormais remplacé par le très urbain et arabisant voile intégral, et la tendance générale s'inverse.
Si aux dernières municipales l'AKP a perdu du terrain, c'est surtout au profit du Saadet Partisi (islamiste) et de l'ancien parti kémaliste qui s'est raidi sur des positions nationalistes (refus du dialogue sur le génocide arménien).
C'est que les réformes "islamiques" ont été bloquées par la Cour Suprême (ou sous la pression européenne, comme la criminalisation de l'adultère), l'AKP se concentrant sur la substitution des élites économiques kémalistes par des élites "islamiques" -flagrant dans le bâtiment, où Bouygues participe activement-.

C4-dans de telles conditions, Erdogan a renforcé le pouvoir de nuisance de la Turquie, et donc sa puissance. En effet, aujourd'hui plus que jamais le rejet de la Turquie serait interprété comme un non à l'Islam. Nous sommes sacrément coincés !

D1-attendre un changement de gouvernement en Turquie, et geler le processus d'adhésion ?
Sarkozy a bloqué deux chapitres (sur 35) en juin 2007, ce qui prouve qu'il n'est pas aussi double que ce que certains pensent ici, même si sa position semble fragile, et à l'heure actuelle seuls 10 chapitres sont ouverts (1 achevé). D'un point de vue technocratique, on peut faire durer encore longtemps le processus.( 15-20 ans)
C'est l'attitude qui consiste à renvoyer au lendemain... et force est de constater que par manque de courage c'est souvent le chemin privilégié par les gouvernements européens.

D2-continuer de donner des gages de non-amour à la Turquie tout en affirmant vouloir les intégrer ? C'est sûrement le meilleur moyen pour voir ce pays s'irriter de plus en plus tout en ne rassurant pas nos opinions politiques, et avec le risque en outre de voir l'adhésion se concrétiser dans un climat délétère !

D3-proposer le partenariat privilégié encore et encore ? Tout d'abord, la Turquie est déjà un partenaire privilégié. Depuis 1995 le marché turc est ouvert aux investissements et produits européens, et inversement. Les flux de personnes en provenance de l'UE sont aussi largement simplifiés. Et la Turquie bénéficie du programme de voisinage de l'UE, avec milliards à la clé.
personne n'est dupe qu'il s'agit de gagner du temps, espérant qu'Ankara claque la porte la première.
Espérer ainsi éviter de passer comme anti-Islam ? Qui le croirait ?

D4-une approche complètement délaissée serait de remettre Chypre au centre des négociations.
Sur le plan juridique, il est complètement ahurissant que l'on engage des négociations avec un pays qui ne reconnait pas un des membres de l'Union. L'Union est la somme d'Etats égaux en droit, ne pas reconnaitre un des 27 c'est ne pas reconnaitre l'Union qui est la totalité de ces 27, et non pas ces 27-1.
Certes, l'Union Européenne espère en étant conciliante mener d'un même élan l'adhésion turque et la résolution du problème chypriote.
Mais ça, c'est miser sur le cheval Erdogan.

Imaginons un instant que l'on cesse de miser sur ce cheval, réaffirmant la priorité de la question chypriote qui je le répète est juridiquement et moralement entièrement légitime, que se passe-t-il ?
Erdogan ne peut plus jouer de la corde religieuse, mais doit au contraire se prononcer sur l'équation droit international+nationalisme=Europe.
L'AKP soulèverait les foudres des nationalistes encore plus que lors de l'affaire du voile -affaire qui a montré l'islamisation du parti nationaliste de droite, peu critique-. Et l'AKP ne pourrait plus se prévaloir du soutien européen pour limiter l'influence des nationalistes, comme lors de l'été 2008 où ces derniers ont adressé un simple avertissement à cause des pressions européennes.
"Delenda est Erdogan!" me semble la priorité désormais. Et Chypre nous fournit un moyen sans contestes juste, et qui a l'avantage de ne pas se placer sous la menace morale de l'Islam.

D5-d'autres scénarios peuvent être envisagés. Mais qu'ils soient ceux de la rupture -irréaliste-, ou ceux liés à des évènements mondiaux imprévus -par nature imprévisibles!-, il ne convient pas de s'y attarder même si il faut être prêts à les intégrer le cas échéant.

***

Je reviens sur le commentaire direct du bloc-notes, car je constate m'en être un peu éloigné !

Les élections européennes approchent. Si la crise sera au menu des débats, la question turque pourrait aussi revenir.

1A-rappeler les propos d'Erdogan en Allemagne, niant aux turcs qui le souhaitent le droit de devenir allemands, irlandais hongrois ou maltais : n'en déplaise à certains, au-delà des discours de matrice chauviniste de chez nous, il s'agit d'un déni de liberté individuelle, ce qui EST UNE COMPOSANTE ESSENTIELLE DE L'IDENTITE EUROPEENNE !

1B-souligner la prise de conscience de certains décideurs français et au-delà, cela montre bien la naiveté de ceux qui tiennent le gouvernail du frêle esquif Europe.
J'ai toujours été de ceux favorables à une entrée de la Turquie dans l'Europe.
Mais à deux conditions intraitables:-l'Europe doit être européenne.
-et la Turquie doit accepter d'être auscultée au regard et lois européennes. Elle doit faire sa profession de foi européenne.
Par exemple, serait-il si absurde de poser aux turcs, par référendum, la question de savoir si ils se sentent européens et DONC qu'ils désirent intégrer l'UE ?

En Géorgie, les taux d'adhésion à l'identité européenne sont invariablement au-dessus de 90%, ce qui correspond aux géorgiens de culture chrétienne grosso modo. (le lien est fait par S.Serrano du CNRS) En Turquie on sait que ce taux est beaucoup plus bas.
Ce serait une première bien dangereuse que d'intégrer un pays dont une grande partie ressent plus d'affinités envers le Mont Kaf des légendes, la Tabriz des récits turco-persans ou la Syrie !
Sans même rentrer dans les détails de l'identité européenne, une grosse partie des turcs la refuse !
La mariée n'est pas très sûre de ses sentiments, c'est le moins que l'on puisse dire.

2- vous liez : "la Turquie, qui a obtenu la suppression de la référence aux racines chrétiennes de l'Europe" à "La coexistence entre l'islam et la laïcité occidentale". En toute logique, demander le retrait de cette référence et demander une position islamo-compatible au SG de l'Otan aurait pu venir de n'importe quel leader européen. Chirac par exemple !
Mais il y a avec Erdogan un faisceau d'indices qui ne laissent de place au doute qu'aux aveugles.

3-"L'Europe n'a pas vocation à devenir le terrain d'expérimentation d'une diversité vue comme une politesse que devraient les États-Unis au monde islamique"

Phrase qui pourrait passer à la postérité.
Et le développement qui s'ensuit montre bien -on pourrait y ajouter l'effort supplémentaire demandé en Afghanistan- que l'agenda d'Obama n'est en rien celui de l'Europe.

C'est bien pour cela que j'étais aussi favorable à son élection: il contraint l'Europe à développer son propre agenda. Si cela advient, il nous aura rendu une grande faveur.

4-une campagne électorale molle de la part de l'UMP serait réitérer l'erreur de J.Chirac avec le TCE de 2005.
Si les thèmes qui fâchent arrivent tardivement, l'UMP n'aura pas le temps de contrecarrer le flot d'arguments plus ou moins justifiés qui bénéficieront en dernière ligne droite des temps de parole comptabilisés. Une campagne électorale précoce jouant sur l'anticipation des thèmes est elle favorable au parti au pouvoir qui a le temps de déminer et de riposter. Par ailleurs, je salue la décision du Conseil d'Etat sur initiative de F.Hollande d'intégrer le temps de parole présidentiel dans le décompte de la majorité. Cela met fin à la fiction du Président-arbitre.

5-je n'ai pas suivi les développements médiatiques de la vidéo -préférant me concentrer sur des médias moins subordonnés à l'immédiat-. Je ne sais donc pas en quelle mesure elle peut influer sur l'opinion publique. J'ai bien peur qu'elle ne soit pas assez significative. Au contraire du meurtre sauvage de Sébastien Guéry en 2003, victime de la haine d'un de ses amis d'enfance. La justice n'a pas retenu le caractère antisémite de ce meurtre, malgré les témoignages nombreux et concordants unanimes à rappeler les mots d'usage des islamistes dans la bouche du meurtrier.
Au prétexte qu'il s'agissait plus de "jalousie" et de "fragilité mentale".

***

Merci, et bonnes Pâques !

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